•  

    Octidi, 8

     

                Bientôt une nouvelle année scolaire. Et, comme d’habitude, en discutant avec les parents, je devrai tordre le cou à plusieurs idées reçues :

                1) Non, les professeurs d’école du CM2 ne sont pas plus diplômés que ceux qui enseignent au CP.

                2) Non, les professeurs d’école du primaire ne sont pas plus payés que ceux qui enseignent en maternelle.

                3) Non, nous n’avons pas de prime si les évaluations des élèves sont bonnes.

                4) Non, les classes de CM2 ne sont pas attribuées en priorité à des hommes.

                5) Non, le directeur ne choisit pas ses collègues.

                6) Non, notre hiérarchie ne nous conseille pas de nous marier entre collègues.

                7) Si, nous avons le droit de pratiquer une religion.

                8) Si, nous sommes payés pendant les vacances.

                9) Si, nos enfants ont parfois des difficultés scolaires.

                … Et, accessoirement,

                10) Non, même avec l’autorisation des parents, nous n’avons pas le droit de frapper les élèves !

     

    ***

      

    Septidi, 27

     

                Un intermittent du spectacle sue et s’agite vainement dans la salle polyvalente transformée en maison de Molière pour tenter de distraire nos élèves. La qualité de l’exhibition est à l’image du comédien : un peu obsolète et décrépite. Il a beau se démener sur la scène improvisée, le public reste de marbre. Et puis arrive l’élément perturbateur qui permettra aux écoliers de garder malgré tout un souvenir impérissable de cet après-midi artistique.

                Le dramaturge demande le silence à la salle et interroge :

                « Ecoutez bien ! Vous n’entendez rien ?... »

                Virginie, une innocente petite élève de CP, lâche alors involontairement un pet à effrayer un éléphant. Un fou rire incontrôlable s’empare de tous les spectateurs, enfants et adultes, qui ont sursauté en entendant la canonnade, puis eu le réflexe d’applaudir à la performance aussi inattendue que sonore de la petite souris. Même la partenaire de l’artiste ne peut retenir des gloussements. Seul le clown triste tient absolument à poursuivre sa pièce dont plus personne n’a à faire désormais.

                Il bafouille, s’énerve après son acolyte, après les jeunes spectateurs, après nous, enseignants, ce qui ne fait qu’amplifier l’hilarité générale. Il menace de tout arrêter. Le public n’en a cure, car le show se poursuit désormais dans la salle. Impossible d’endiguer le flot des éclats de rire qui rebondissent sur les murs pour en entraîner d’autres, encore plus forts. La représentation se termine en eau de boudin.

                Vexé, le cabotin plie bagage, encaisse son chèque et part vers d’autres aventures, continuant à se disputer avec sa partenaire qui, sacrilège, s’est rangée du côté des rieurs…

     

    ***

    Septidi, 7

     

                Je surveille la cour de récréation sous un beau soleil automnal.

                Mes yeux se portent sur Jonathan et Arnaud qui s’amusent comme des fous. J’entends leurs éclats de rire d’ici. Que la vie est douce à cet âge-là, loin, très loin des soucis du monde impitoyable et sans état d’âme qui les attend !

                Les deux copains slaloment entre les arbres. Ils ne sont plus dans une cour d’école mais sur un circuit de formule un ou sur une étape de rallye raid. Gare à ceux qui se risqueraient à traverser juste devant le bolide, son pilote et son co-pilote lancés à toute allure : pas sûr qu’ils en réchapperaient !

                Sensibilité excessive ? Cœur d’artichaut ? Toujours est-il qu’un trop-plein d’émotion me submerge. Des larmes me viennent aux yeux ; j’essaie de les dissimuler par discrétion…

                Arnaud, non-voyant et atteint de leucémie, a posé sa canne blanche sur les genoux de Jonathan, myopathe. Il pousse le fauteuil-roulant à toute vitesse, guidé par les cris enthousiastes de son copain.

     

    ***

               

    Nonidi, 9

     

                Vendredi 16h30. Ouf ! J’ai bien cru que la semaine ne finirait jamais ! Tandis que mes élèves rangent bruyamment et avec enthousiasme leurs affaires, je leur souhaite une bonne fin de semaine.

                Myrtille, dix ans et demi, future ethnologue, est une observatrice attentive des adultes. Elle s’est spécialisée dans l’étude des relations entre ses parents.

                Réaliste, fataliste, elle me prédit sa soirée de samedi :

                « Oh, m’sieur, je sais c’qui va s’passer. Demain y’a du foot. Alors mon père il va encore boire des canettes de bière et ma mère elle va encore lui crier dessus. Alors il va encore la taper et après elle va pleurer et il va l’embrasser et après ils vont coucher ensemble. »                                                

     

    ***

                           

    Quartidi, 14

     

                Contrôle de mathématiques. Je circule entre les rangs.

                Mon regard se porte sur le vieux cartable ouvert de Julien. Les cahiers réglementaires fournis par l’école y côtoient des bouts de pain, des radis, des morceaux de fromage et des clémentines. C’était le menu de la cantine de ce midi.

                Je me penche vers l’écureuil prévoyant qui sue sang et eau sur une addition à retenue et lui chuchote :

                « Tu ne crois pas que tu exagères ? Tu vas salir tes affaires ! Tu sais qu’on n’a pas le droit de sortir de la nourriture du self ! »

                Puis, toujours aussi délicat et fin psychologue, je termine par un trait d’humour ô combien pertinent :

                «  C’est pour ton chien ? »

                Le Gavroche est trop las pour avoir honte. Il me balance cette terrible réponse :

                « Non… C’est pour mes parents. »

     

    ***

    Sextidi, 16

     

                Tiens, voilà Cosette !

                Cosette, c’est le surnom que l’on donne à une petite du CE2 d’Isabelle, dont les parents ont tout des Thénardier. La seule différence, c’est qu’elle est leur fille légitime. Mais tout aussi maltraitée.

                On est samedi matin. Cosette, rachitique aînée de cinq enfants, tire comme elle peut un gros sac en s’arrêtant tous les dix mètres pour souffler et le changer de main. Ce sont les courses pour la famille. Elle rapporte également des croissants tout chauds.

                Pour ses parents uniquement, bien sûr. Elle et ses cadets, dans le meilleur des cas, ont droit à du pain. Pour le reste, elle doit attendre que son papa accepte d’ouvrir le cadenas de la chaîne qui entoure le réfrigérateur et dont la clé pend à son cou. C’est-à-dire seulement lorsqu’elle a terminé de jouer à faire le ménage et la vaisselle.

                Cosette, au sourire indéfectible, est vêtue légèrement. Elle se réchauffera tout à l’heure, dans le deux-pièces familial : elle partage la salle de séjour avec son frère, ses deux sœurs et le rat albinos. Le bébé, lui, dort dans la chambre des parents, avec le python. Enfin, dans la nacelle du landau, pas dans le vivarium.

                Cosette, élève vive et intelligente, est très maladroite : elle tombe souvent dans les escaliers et se cogne régulièrement par mégarde dans une porte. Les services sociaux, curieux de nature, voudraient bien en savoir plus, mais le papa refuse de les laisser pénétrer leur intimité, et sa fille élude le sujet à chaque fois que nous l’abordons. Elle nous répète droit dans les yeux que tout va bien chez elle.

                A lundi, Cosette, sois sage cette fin de semaine ! Tu es tellement plus jolie lorsque ton visage est indemne ! Ne t’inquiète pas. Comme d’habitude, ta maîtresse te pardonnera beaucoup de choses et, même si c’est interdit, tu auras le droit de passer par les cuisines lorsque tu reviendras de la pause déjeuner.

                Pause que tu passes à effectuer la danse du buffet vide, dehors…

     

    ***

     Septidi, 17 

                Début d’après-midi. Le repas trop copieux (exceptionnellement, nous n’avons pas mangé à la cantine) et la douce tiédeur qui envahit mon bureau incitent à la sieste. Soyons raisonnable : si le téléphone sonne en plein sommeil, ce sera mauvais pour mon cœur. Autant sortir me dégourdir les jambes. J’effectue donc le tour de l’école, histoire de vérifier que tout va bien côté matériel et mobilier.

                En déambulant du côté des cuisines, j’aperçois un radiateur qui fuit encore. Je  sors mon portable et compose le numéro d’un responsable des services techniques de la ville. On ne sait jamais : peut-être que lui aussi a eu le courage de ne pas succomber aux charmes de Morphée…

                Surprise : en réponse au « biiiip » de mon téléphone retentit une sonnerie en provenance du vestiaire des femmes de service.

                Deuxième, troisième puis quatrième sonnerie. Personne dans les bureaux de la mairie ?... A cette heure-là ?... Ah si ! Ca décroche enfin.

                J’entends alors un

                « Allô ?... Dix secondes, s’il vous plaît ! Je suis à vous tout de suite ! Ne quittez pas ! »

                en stéréo : de mon portable et de derrière la cloison. Puis vois le responsable technique sortir tout rouge des vestiaires, tenant son portable d’une main et retenant son pantalon déboutonné de l’autre. Son caleçon à fleurs tranche avec la sévérité de son costume.

                Tel un setter irlandais à la chasse au canard, il marque l’arrêt en me voyant.

                Sortent alors de sa bouche des explications embarrassées…

                … et du vestiaire Guylaine, bien remise de sa salmonellose, tout aussi rouge et ébouriffée que son partenaire de jeu…

     

    ***

     

    Duodi, 22

     

                La classe de neige approche. Je ramasse les fiches que j’ai données la semaine dernière à compléter aux parents.

                Elles se présentent de la manière suivante :

     

    NOM : …………………………                  Prénom : …………………………

    Classe : …………………………               Sexe : …………………………

    Poids : …………………………                 Taille : …………………………

    Pointure : …………………………            Niveau de ski : …………………………

     

                A « Taille », les parents de Julien ont écrit :

                 « Environ 10 cm ».

                Je suppose qu’ils ont complété la fiche en la lisant verticalement.

     

    ***

     

    Nonidi, 29

     

                Mon ouïe m’informe qu’à l’heure de la récréation, deux élèves ont bravé l’interdiction de rester à l’intérieur des locaux. Je m’approche à pas de loup des toilettes et voit par la porte entrouverte deux petits CP qui se font face dans la pénombre.

                Ils ont tous les deux le pantalon sur les chevilles. Gaëtan, visiblement et virilement en pleine forme, donne des cours particuliers, gestes à l’appui, à sa petite copine bien plus attentive qu’en classe. Il faut dire que la leçon est instructive et passionnante :

                « Et pis, le papa, il donne des grands coups de zizi dans la zézette de la maman. Il s’arrête et pis il lui donne une fessée et pis il recommence. Et pis il la traite de salope et pis il recommence à toute vitesse. Et pis la maman elle crie et elle dit « ze t’aime » et ils s’endorment. »

     

    ***

                

    Sextidi, 16

     

                Karl est dans mon bureau. Philippe me l’a encore envoyé : il n’arrive plus à le canaliser. Que faire ? Prendre le téléphone et tout raconter à ses parents ?...

                Dilemme : la dernière fois que nous avons mis le père au courant, notre élève a ensuite eu du mal à s’asseoir pendant deux jours, à cause des coups de ceinture…

                Je discute avec lui.

                Il me prévient :

                « Si vous appelez mon père, il va me tuer ! »

                Je rétorque que nous lui avons déjà donné un milliard de chances, et que lui, de son côté, n’a guère fourni d’efforts. Que, de plus, il ne faut pas employer ce genre d’expression. Même si nous nous doutons de ce qui se passe à la maison…

                Il m’interrompt en hurlant :

                « Non, vous savez pas ! »

                J’argumente calmement : au vu de notre grand âge, nous avons un peu d’expérience. Des petits bonshommes comme lui, nous en avons croisé des dizaines. Et l’on imagine aisément ce qui se passe chez lui…

                Sans se soucier des lourdes larmes qui s’écoulent lentement de ses yeux, il m’assène :

                « Et quand vous avez votre père et votre mère qui se battent à coups de couteaux, vous faites quoi, vous ?... Moi, je me suis mis entre eux… Et j’allais défendre qui ? Hein ? Mon papa ou ma maman ? »

     

    ***

               

    Septidi, 17

     

                Séance piscine.

                Car brinquebalant, vestiaires sales, atmosphère chaude et humide, cent décibels. Tout ce que j’aime !...

                Daphnée, qui, depuis le vol du début d’année, reste désormais habillée, et moi sommes au bord du bassin, jeans relevés sur les mollets. Nous encourageons nos canetons. Un de ses élèves reste tétanisé au bout du plongeoir. Incapable d’effectuer le grand saut, ou même de faire demi-tour. Et aucune voie de dégagement latéral…

                N’écoutant que son courage, Daphnée s’avance prudemment sur l’étroite planche en tendant le bras afin de récupérer son poussin et laisser la place aux suivants.

                Malgré le revêtement antidérapant, elle glisse avec grâce, telle une patineuse qui prend de l’élan pour tenter un double axel. Sauf qu’elle retombe lourdement. Le plongeoir se transforme en catapulte et expédie le trouillard dans les airs, ce qui lui permet d’exécuter une figure acrobatique à laquelle, si j’étais juge, je mettrais bien un 9,8 sur 10.

                Daphnée, après un premier rebond, s’accroche au plongeoir (ô temps suspends ton vol !), les pieds dans l’eau, et tente vainement une traction, éclaboussant les alentours en pédalant moitié dans le grand bain moitié dans le vide, provoquant un tourbillon, un peu comme lorsqu’un hélicoptère s’approche d’une étendue d’eau.

                Malgré l’ampleur de la tâche, elle lutte néanmoins courageusement encore quelques instants contre les lois de la pesanteur, pestant contre Newton. Puis, découragée, elle lâche l’affaire. Dans un plouf retentissant, elle effectue alors sa première séance d’entraînement en vue de la prochaine élection « miss tee-shirt mouillé » de cet été au camping de Palavas les flots.

                Enfin, elle met en application les conseils avisés des maîtres-nageurs pour regagner l’échelle salvatrice, refusant avec honneur et dignité la perche que l’un d’entre eux lui tend...

     

    ***

               

    Octidi, 18

               

                Thomas, notre soprano paillard du CE2, a un gros berger allemand, chien d’appartement par excellence.

                Chaque matin, il l’emmène se dégourdir un peu les pattes devant l’école car la pauvre bête doit ensuite passer le reste de la journée sur le balcon qui, bien que spacieux, est déjà pas mal occupé par l’antenne parabolique, les vélos, le congélateur, des sacs poubelle (pleins), le sapin du dernier Noël et les jardinières de géraniums.

                Les parents qui, le matin, sont trop occupés à dormir, ont donné une petite astuce à leur fils pour qu’il soit quand même à l’heure :

                « Dès que tu vois Monsieur Romain venir ouvrir le portail, tu mets la laisse à Dark Vador, tu le remontes, tu prends ton cartable, tu penses à bien refermer la porte et tu y vas ! ».

                Sauf que ce matin, le chien n’est pas d’accord : il a pénétré sans autorisation dans la cour de l’école (preuve que le panneau d’interdiction situé à l’entrée ne sert à rien, puisque la bête ne sait pas lire) et refuse d’en sortir. Ou, plus exactement, prend un malin plaisir à jouer à « Attrape-moi si tu peux ! » avec Thomas et ses copains qui tentent vainement de gagner la partie…

                Par prudence, je fais entrer tous les élèves dans les locaux, car le toutou doit bien manger son kilo de viande quotidien. Ne lui offrons pas sur un plateau d’argent plusieurs quintaux de rosbifs potentiels.

                08h30. J’ai encore une idée de génie. Je laisse le portail grand ouvert : la bestiole finira bien par s’en aller quand elle n’aura plus personne avec qui jouer. Ne restera plus ensuite qu’à le refermer, et nous serons tranquilles…

                10h00. Récréation. Dans la cour, je dois maintenant gérer quatre chiens errants

               

    ***

               

    Sextidi, 6

     

                Afin de réduire au maximum la participation des familles au voyage de fin d’année, j’ai demandé à mes élèves de tenter de gagner un peu d’argent. Ce sera toujours ça de moins à sortir du portefeuille parental ou de la coopérative scolaire.

                « Faites preuve d’imagination ! »

                leur ai-je dit.

                C’est ainsi que l’un a lavé la voiture de ses parents, l’autre a fait le ménage dans l’appartement familial, un troisième a fait les courses, etc. Quant à moi, j’ai voulu participer à l’effort collectif en pariant sur la victoire du PSG, mais ça n’a rien rapporté à la collectivité, j’ai juste perdu ma mise.

                16h00. Coup de fil de la maréchaussée. Bertrand et Anthony ont été trop imaginatifs. Ils ont vendu des fleurs aux gens du quartier. Et ont récupéré un pécule conséquent.

                Mais des personnes se sont plaintes de cette activité.

                Les propriétaires des jardins anciennement fleuris.

     

    ***

     


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  • France 2

    Mercredi 7 septembre 17h05 émission de Julien Courbet : "Seriez-vous un bon expert ?" (à partir de 21'25")

    http://www.pluzz.fr/seriez-vous-un-bon-expert.html 

     

    Europe 1

    Jeudi 18 août émission de Laurent Cabrol : "Dans l'air du temps" (à partir de 38' 05")http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Dans-l-air-du-temps/Sons/Dans-l-air-du-temps-18-08-11-674209/  )))

    http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Dans-l-air-du-temps/Sons/Dans-l-air-du-temps-18-08-11-674209/

     

     France bleu Orléans

     http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-bleu/?nr=352dd0b2f0b5dd963a9228cd45ebeed5&f634ebc270854a61e2fb9f7f20447ae1_container_id=15476&f634ebc270854a61e2fb9f7f20447ae1_container_mode=instances&f634ebc270854a61e2fb9f7f20447ae1_article_id=655874 

     

     

    Ouest-France

    http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Le-directeur-observe-l-ecole-a-la-loupe-_3639-1979717_actu.Htm 

     

    La République du centre

    Samedi 20 août

     

    Le républicain lorrain 

    http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2011/09/21/patrice-romain-il-faut-lutter-tous-les-jours 

     

    Marianne

    Numéro 770 : page 45

     

    Famille chrétienne

    http://ekladata.com/GdJsJugqKoSGO7mAOr1De_Yt6us.jpg 

     

    Psychologies magazine

    Numéro de septembre 2011 : page 38

     

    Val Maubuée magazine printemps 2012

    Val magazine (page 19)

     

    Terrafemina

    http://www.terrafemina.com/emploi-a-carrieres/guides-metiers/outils/1720-patrice-romain--de-directeur-decole-a-ecrivain.html Samedi 20 août


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  • Ma femme est enseignante


     

    Ma femme est enseignante, elle est très attachiante 

    C’est un mariage à trois : elle, son métier et moi            

     

    Pour la fête des mamans j’invente des compliments 

    Et pour la fête des pères j’bricole des trucs en fer 

    A la soirée loto je suis à la sono 

    A la fin de l’année je fais le disc jockey 

    Une fois l’an on m’appelle pour jouer le père Noël 

    Il n’y a qu’à la Toussaint que je n’fais presque rien 

    Quand on part en vacances dans le sud de la France 

    Elle fait des repérages pour son prochain voyage

     

    Ma femme est enseignante elle est très attachiante 

    C’est un mariage à trois : elle, son métier et moi

     

    Quand je rentre du boulot le moral à zéro 

    Il me faut l’écouter raconter sa journée 

    On reçoit ses copines, des plus moches aux moins fines 

    Elles parlent pédagogie, j’en ai pour toute la nuit

    Quand tout émoustillé je m’en vais me coucher 

    Elle n’est plus dans mon lit : elle relit ses copies 

    Quand je lui fais la cour, quand je lui fais l’amour 

    Elle ne peut s’empêcher d’vouloir me corriger

     

    Ma femme est enseignante elle est très attachiante 

    C’est un mariage à trois : elle, son métier et moi

     

    Au vu de c’que j’digère je sais ce qu’elle va faire 

    Om’lette un r’pas sur deux : ils vont peindre des œufs 

    Yaourts toute la semaine : vont faire germer des graines 

    Melon soir et matin : des colliers tahitiens 

    La veille de la rentrée je n’sais plus où m’cacher 

    Les nerfs à fleur de peau elle éclate en sanglots

    C’est encore pire en juin, elle quitte ses chérubins

    Elle se répand en pleurs et je compte pour du beurre

     

    Ma femme est enseignante elle est très attachiante 

    C’est un mariage à trois : elle, son métier et moi

     

    Ma femme est enseignante elle est très attachiante 

    C’est un mariage à trois : elle, son métier et moi, elle, notre amour et moi

     

     


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  • Cœur en trompe l’œil<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    Le matin c’est viandox, l’été cure de botox<o:p></o:p>

    Chaque semaine weight watchers, c’est le prix du bonheur<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    Elle a toujours la forme<o:p></o:p>

    Aimante les yeux des hommes<o:p></o:p>

    Et ceux de ses élèves<o:p></o:p>

    Qui fantasment  sur ses lèvres<o:p></o:p>

    Les pères jouent les p’tits coqs<o:p></o:p>

    Faut dire qu’elle les provoque<o:p></o:p>

    Les mères la trouvent vulgaire<o:p></o:p>

    Réprouvent ses manières<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    Le matin c’est viandox, l’été cure de botox<o:p></o:p>

    Chaque semaine weight watchers, c’est le prix du bonheur<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    L’école c’est son domaine<o:p></o:p>

    Dans la cour c’est la reine<o:p></o:p>

    Mais il lui reste cinq ans<o:p></o:p>

    Après c’est le néant<o:p></o:p>

    Car sans le maquillage<o:p></o:p>

    Elle fait vraiment son âge<o:p></o:p>

    Tu grattes le fonds de teint<o:p></o:p>

    Tu vois qu’elle n’est pas bien<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    Le matin c’est viandox, l’été cure de botox<o:p></o:p>

    Chaque semaine weight watchers, c’est le prix du bonheur<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    Aimait trop son body<o:p></o:p>

    Pour abriter la vie<o:p></o:p>

    Son mari l’a quittée<o:p></o:p>

    Pour prendre une moins âgée<o:p></o:p>

    Sa beauté vénitienne<o:p></o:p>

    Camoufle un cœur qui saigne<o:p></o:p>

    Seule parmi ses élèves<o:p></o:p>

    Elle abandonne ses rêves…

     

     


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  • II Jeu guerrier

     

    D'après les plus grands spécialistes militaires qui avaient suivi et unanimement approuvé le déroulement parfaitement correct de la procédure préalable à l’ouverture des hostilités, tout avait été fait dans les règles de l'art. Montée de tension, puis discours belliqueux et provocations verbales, enfin ultimatum, mobilisation générale et déclaration de guerre. Ces étapes traditionnelles auxquelles tenaient tant tous ces vénérables vieillards barbus garants du bon déroulement des opérations avaient été respectées. Aucun signe d’impatience juvénile, donc néfaste, de la part des deux protagonistes, et ce malgré leur hâte d’en découdre.

    Un sans-faute, donc.

    Depuis quatre mois déjà, donc, deux pays s'affrontaient, par armées interposées. Les généraux étaient rusés et inventifs (ce qui semble antinomique à première vue), les stratégies employées subtiles et compliquées, et les pertes lourdes, très lourdes, dans chaque camp.

    Mais les historiens se battraient à coups de chiffres plus tard. Pour l’instant, on dépeçait sans compter.

    Le combat, âpre, acharné, était indécis. Les missiles sol-sol  pilonnaient sans cesse les champs de batailles, les roquettes éclataient à un rythme régulier un peu partout, et les avions effectuaient d'incessants va-et-vient, lâchant à chaque passage leur cargaison de bombes, offensive ou défensive, à ailettes, au napalm, à fragmentation, chimique, bactériologique, de peinture ou de déodorant, en fonction, dans l’ordre, de l’objectif recherché, des stocks disponibles, de la vitesse du vent et de l’âge du capitaine.             

    Dans ce bourbier, ce charnier même, chaque fantassin, pour vaincre ou sauver sa peau, enjambait des corps étendus, trébuchait, avançait, reculait, tel un automate, au gré des ordres venus de l'état major (étage à morts ?). Ce qui n’était pas sans leur rappeler une chanson traditionnelle de leur enfance : « Trois pas en avant, trois pas en arrière, trois pas sur l’côté, trois pas d’l’autre côté »

    Une bombe trouait parfois cette fourmilière humaine, dessinant un disque mortel, vite recouvert de nouveaux uniformes vert kaki en mouvement, ce qui produisait un bel effet esthétique sur la palette du champ de bataille, avec le rouge vermillon des blessés agonisant. C'était assez incroyable de voir le nombre de jeunes que vomissait chaque pays. On avait l'impression que les réserves de chair à canon étaient inépuisables, et que jamais on n'arriverait à endiguer ces flots de bipèdes. Un peu comme lorsque, gamin, à la plage, on creuse juste au bord de l’eau, et que la mer pénètre dans le trou régulièrement et inexorablement. A chaque flux, des milliers de grains de sable reviennent, anéantissant les efforts entrepris.

    Cependant, au fil des semaines, des mines anti-personnelles, des maladies vénériennes et des rations de combat, les troupes zoltènes prenaient petit à petit l'ascendant sur leurs rivales. En divers endroits, les Tornaques étaient encerclés, et, malgré le courage de leurs vaillants soldats qui se battaient avec acharnement jusqu'au dernier, les poches de résistance tombaient les unes après les autres. Pas une ne se rendit. Aucun drapeau blanc ne fut hissé. Lorsque l'ennemi atteignait son but, il n’y trouvait que des pantins de cire immobiles et ensanglantés. L’honneur, à défaut de la vie, était donc sauf. Mais c’était bien là l’essentiel.

    Les rangs des belligérants étaient de plus en plus clairsemés. Le désir de victoire n’en était que plus intense. Le maître mot de cette tuerie était en effet « pas de quartier », et chacun sait que, dans ce contexte du « tuer ou être tué », d’une part, même le mâle le plus abruti connaît cette expression, et que, d’autre part, le plus rebelle des anarchistes obéit sans scrupule à ce genre de consignes.

    Soulignons cependant que, malgré la férocité des combats, aucune exaction ne fut commise. Il faut dire que les soldats ne faisaient aucun prisonnier, et qu’à ce jour aucun mort n’a encore témoigné des atrocités commises à son encontre...

    Peut-on parler de guerre « exemplaire » ? Oui, bien sûr, puisque ce sont nos gouvernants qui les déclenchent. En tout cas, celle-ci fut loyale. Nul doute qu’elle figurera en bonne place dans les manuels d’histoire des générations futures. Et sera même sans doute citée en exemple.

    Les civils, certes de moins en moins nombreux au fur et à mesure des rappels de classes, étaient épargnés, conformément à l’article trois de la règle du jeu. Chapeau bas, respect et merci, messieurs les galonnés. Vous avez donné une excellente image de votre profession, et sans doute suscité des vocations. Car, pour peu qu’ils aient eu moins de douze ou plus de soixante-dix ans, les femmes et les enfants pouvaient en effet allègrement profiter de la vie.

    Au final, seuls les militaires justifièrent leur salaire, c'est à dire moururent pour la patrie. Ce qui n’a rien de choquant : après tout, le sapeur pompier éteint le feu, le boulanger vend du pain et le banquier arnaque le client ; tout le monde trouve cela normal, non ?

    Malgré l'héroïsme de ses hommes, le général en chef de la Tornie, raisonnable bien que gradé, se rendit enfin compte qu'il était désormais inutile de sacrifier tant de vies humaines. Assiégées en divers endroits, manquant de vivres et de munitions, à bout de forces, ses troupes, ou plutôt ce qu'il en restait, ne tiendraient plus longtemps. Après avoir consulté ses officiers supérieurs, il décida donc de capituler, non sans s'être assuré d'une retraite discrète, pour lui, son caniche, sa collection de voitures miniatures, sa maîtresse et sa femme, ne laissant que sa belle-mère à la vindicte populaire une fois l’annonce de la défaite officialisée.

    Dans une apparition télévisée, il communiqua la nouvelle aux petites gens. Lesquels, propagande oblige, attendaient l’issue victorieuse du conflit d’un jour à l’autre. Il avait visiblement du mal à contenir son émotion. Son visage grave, ses yeux cernés et sa barbe de huit jours trahissaient une lassitude extrême. Son discours fut bref. Il demanda à ses compatriotes de rester dignes dans la défaite et remercia ses soldats pour leur dévouement et leur sacrifice. Notons cependant que la majorité des sacrifiés en question n’eut pas le loisir d’apprécier ses propos. Puis il se mit au garde-à-vous, tentant vainement de rentrer son ventre, et ses lèvres tremblèrent tandis qu’il écoutait l’hymne national. Quelques larmes traçaient une bande plus claire sur son visage buriné et poussiéreux. Les téléspectateurs, en voyant le gros plan, ne purent que lui pardonner, tant il avait l’air sincère.

    Du côté de la Zoltanie, c'était bien entendu l'allégresse. La joie de la victoire se mêlait au soulagement d'en avoir fini avec l'angoisse perpétuelle qui vous prend le matin au réveil et vous noue encore l'estomac au moment du coucher. La vie allait enfin pouvoir reprendre petit à petit son cours normal. Les braves gens défilaient en criant « On a gagné ! », sans forcément penser à leurs voisins qui avaient perdu la vie.

    Dans le salon d'honneur de l'ONU, à Genève, devant les caméras d'une centaine de pays, le général tornaque, en tenue d'apparat, monta sur scène et signa sa reddition. Son vainqueur, au triomphe modeste, souleva une magnifique coupe en argent, vint amicalement à sa rencontre, le complimenta pour sa noble attitude et lui assura qu'il faisait honneur à sa fonction. Puis il prit le micro, félicita son adversaire, remercia sa maman et son aide de camp. Les deux anciens ennemis se congratulèrent longuement, prouvant par là en quelle estime ils se tenaient, puis devisèrent tranquillement, comparant leurs tactiques guerrières respectives, analysant leurs erreurs stratégiques, levant un verre au calme retrouvé.

    Deux mille km² de bois et de champs passaient donc à l'ouest de la frontière désormais caduque, et leurs cent cinquante mille habitants allaient pour la troisième fois en dix ans changer de nationalité. Les modalités techniques feraient l'objet de réunions ultérieures. Les militaires avaient terminé leur travail, aux technocrates de commencer le leur…

    C'était donc fini. Les deux peuples pouvaient désormais se consacrer pacifiquement à d'autres activités et leurs clubs de foot se rencontrer à nouveau. Sous les crépitements des flashes internationaux, les deux protagonistes se serrèrent à nouveau la main. Ils lurent une déclaration commune. L’émotion était palpable dans l’assistance. Enfin ! Ce conflit était réglé !…

    Après maints rappels et  une « standing ovation » de douze minutes montre en main, les héros descendirent majestueusement de l’estrade et se retirèrent en coulisse, derrière la tenture pourpre.

    Là, ils aidèrent les huissiers à ranger les cartes et les soldats de plomb dans des boîtes à chaussures capitonnées de coton, puis les remirent solennellement au secrétaire général de l’ONU en le remerciant de les leur avoir prêtés.

     


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